lundi 25 février 2008

LE COUPE PAPIER

J'ai trouvé l'autre jour, chez la bouquiniste de la rue Gioffredo à Nice, un de ces livres nés au dix neuvième siècle. Un volume jaunâtre, dont la couleur était délavé par le temps. Tout en bas, était inscrite une date en chiffres romains MCMVII.
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Peu importe le titre de l'ouvrage, et peu importe, au fond le nom de l'éditeur. Ce que j’ai trouvé là, au fond de l’étagère, c'est un livre broché. On pouvait encore lire sur la première page son prix, écrit au crayon de bois ; 350 Frs.
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Au bas de la première page la date était répétée, mais en chiffres arabes cette fois, 1906 ... Allez donc savoir pourquoi !
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Un livre broché n'a pas du tout la même odeur qu'un livre relié, il ne sent pas la colle. Lorsque l’on plonge son nez entre deux feuillets, l'odeur est indéfinissable. Cela sent un peu le chiffon, mais avec quelque chose de subtilement différent. Une odeur qui rappelle la boîte à couture de ma grand mère. Le coton, le fil et les minuscules carrés de tissus ou étaient encore cousus des boutons multicolores. Cela sent un peu, aussi, le vieil album de photos de ma famille. Ce sont des odeurs qui appartiennent à la mémoire, même si elles sont résurrection d'un temps devenu bien lointain !
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Un livre broché, c'est souple et un peu mou. C'est un composé de quelques dizaines de feuillets rattachés les uns aux autres par du fil blanc noué. Il rassemble les pages qui ont été imprimées toutes ensemble, sur une même feuille, qu'on a ensuite pliée. Un livre broché à la manière d'autrefois a d'autres mystères, que notre époque ne connaît pas. Ces volumes étaient vendus "non coupés" ... C'est à dire que le fabricant, après avoir cousu les feuillets, n'a pas séparé les pages les unes des autres.
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Le coupe-papier, de bronze et d'acier était là, oublié au fond du tiroir. Un canard au cou replié servait de manche. Il était devenu verdâtre avec le temps, verdâtre comme le cou des colverts.
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Le coupe papier, c'est un objet dont se servait mon grand-père. J'ai ouvert le tiroir, j'ai repris le coupe papier. J'ai posé le livre bien à plat sur le bord de la table de la salle à manger. La main gauche, paume largement ouverte sur la première de couverture, le coupe- papier dans la main droite, tenu fermement pour qu'il ne dérape pas.
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Couper les feuillets d'un livre broché, c'est une cérémonie. Comme toute cérémonie, elle a ses lenteurs, ses précautions, ses pauses et ses avancées. Lorsque la lame est bien passée entre les pages, d'un seul coup, il faut y aller d'un seul coup, en un seul crissement pour éviter les déchirures et les dentelures.
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De cette manière il ne restera qu’un peu de duvet au fil de la lame. Le bord des pages s'effiloche un tout petit peu, juste un effilochement de quelques centièmes de millimètres, comme une minuscule frise d'écume légère. On peut, à la fin, souffler sur la table, à l'endroit où le livre était posé. Les duvets blancs nés du papier coupé s'envolent, dansent et meurent dans un rayon de lumière.
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Il reste la sensation d'avoir ouvert une porte, de se trouver à l'entrée d'un chemin qui ne se révèle que pour moi. Personne n'a jamais lu ces pages avant moi .
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Ségurano

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un petit voyage qui me rappelle bien des souvenirs. Bel article.

Anonyme a dit…

Claudiogene n'avait pas tort, ce petit voyage au pays des bouquineries et des vieux coupes papiers est vraiment très beau.