mercredi 19 décembre 2007

LA REVOLTE DES AUTOMATES


En s'indignant du Système en permanence, en le dénonçant, on accepte la place qu'il nous donne. En réagissant à la décadence de façon systématique, que ce soit par des cris de haine, des lamentations de fatalisme ou des analyses très bien argumentées, nous nous résolvons à n'être qu'une ramification de plus du Système. Un dommage collatéral qu'il a très bien intégré. Un bug volontaire, un accident prévu.

Il faut prendre conscience de la dérision de cette situation. A travers nos différents blogs, nous participons quelque part à cette mascarade. Nous prétendons lui apporter de l'énergie négative, mais peu importe, cela reste de l'énergie. Il y a une réciprocité. On se nourrit de l'actualité, on commente la chute, et elle se nourrit de nous. Nous sommes des complices involontaires. Il s'agit de comprendre la vanité de notre action. Chaque note de plus n'est pas un affaiblissement du Système, c'est au contraire une confirmation de sa domination totale, tel un souffle qui renforce une flamme.

Chaque critique est à la source destinée au vide, et ceci de par son objet, et non de par son contenu même. La mascarade est tellement absurde qu'il est dérisoire de s'attaquer à un de ses aspects. Autant déplorer qu'une voiture a été brûlée durant le drame d'Hiroshima. C'est bien là la tragédie de notre époque, l'imposition du silence, en noyant chaque bruit dans un brouhaha permanent qui est définit comme le silence. La rébellion, en tout cas sous cette forme, n'existe pas.

Elle est absorbée avant même d'être formulée.Le champ des luttes intellectuelles potentielles est une terre morte. Souillée à l'instant zéro, imbibée d'un poison initial, inhérent. Il y a un seuil au-delà duquel la critique devient un atout pour le critiquer. Lorsqu'on accable BHL, l'antiracisme où je ne sais quelle trahison de Nicolas Sarkozy, on joue le jeu, on entre dans le débat, peu importe ce que l'on dira, l'important est qu'on accepte les règles. C'est une défaite avant le coup d'envoi. Un esclave qui a conscience de l'être n'en reste pas moins un esclave. Notre époque a cette force formidable, c'est qu'elle va tellement loin dans l'annihilation des valeurs, des repères, des arguments, des mots, même des idées, qu'elle avorte toute opposition.

Vous pouvez frapper dans un mur uniquement parce que ce mur vous rend votre force. Il est de la matière, vous aussi, il y a donc action/réaction. Ce n'est pas le cas du Système. Il n'y a pas de mur ou plutôt, comme dirait l'autre, vous en êtes déjà une brique. On ne peut pas se battre contre tout, c'est-à-dire contre rien.La liberté d'expression que nous avons nous est donnée par le Système. Et comme on le sait, "la liberté ne se donne pas, elle se prend". En acceptant notre champ d'expression, nous acceptons la standardisation, la normalisation, le format, nous entrons dans la Nomenclature globale. Nous sombrons alors aussi dans un prêt-à-penser stérile, il suffit de voir les commentaires de la plupart des "résistants", comment faire plus répétitif... Nous sommes embarqués dans un train qui tourne en rond, sur des rails dont la trajectoire est prédéfinie ailleurs. Notre fonction n'est pas subversive, elle est conçue, anticipée, précisément. Nous sommes peut-être plus conscients de la Machine que le con lambda, mais en nous cantonnant au rôle qu'elle veut bien nous donner, nous travaillons aussi pour elle. Des moutons plus en colère, plus lucides oui, mais toujours des moutons.

Une antichambre destinée à compenser les failles du Système dans son oeuvre de lobotomisation. Une matrice de secours, comme dans le film, qui ressemble à un monde réel pour mieux nous persuader que nous sommes à l'extérieur. Que nous sommes libres. Mais non. Le Système nous a canalisé.Que faire après un tel constat ? Il n'y a pas de réponse précise ni de mot d'ordre, mais pour moi c'est le recul. Savoir se détacher, dépasser l'état de frustration constante, d'impuissance devant les ruines, et aussi le militantisme sous cellophane qui comme je l'ai dit est parfaitement géré, paramétré, par le Système. Savoir juste s'échapper… Intervenir encore, bien sûr, mais sans développer de longues thèses argumentées, car il s'agirait ici de considérer le Système comme digne d'attention, de réfutation, comme une entité douée de raison et de morale, d'une quelconque cohérence. Grossière erreur. Comprendre qu'on ne fait rien avec du vide, qu'on ne sort rien du Néant, mais rester juste pour continuer à foutre un peu la merde dans la fosse sceptique.

Balancer de l'huile sur le napalm, c'est insignifiant, mais c'est toujours plaisant.En définitive, savoir s'éloigner de cet océan de conneries, parvenir à un stade d'indifférence relative. Savoir se taire. Se taire devant SOS racisme, devant Libération, devant un Sarkozy ou un Kouchner, devant TF1, ou devant Pernot. Fermer sa gueule face aux Indigènes de la République, face à Bruxelles, face à Bush ou Ben Laden. Ne plus accepter de débats virtuels, d'interlocuteurs virtuels. Laisser les pantins dans leur danse macabre et les insectes dans la fourmilière. Ne plus y entrer. Savoir jeter les cartes…

Et vivre enfin…
Cantal & Ségurano

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