lundi 3 décembre 2007

ET DEMAIN ?...

Hier Clichy, aujourd’hui Villiers le Bel, et demain…

Lundi 3 décembre 2007
Mardi soir. À l’heure où j’entame ces lignes, les flashs d’informations qui se suivent ne cessent de m’annoncer qu’un « calme précaire » règne à Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise, au nord de Paris, où « un important dispositif d’ordre a été déployé ». En boucle, pour combler l’attente, tournent des images de la veille et de l’avant-veille. Des CRS qui chargent, des voitures brûlées, des commerces saccagés, une école maternelle incendiée, des hélicoptères qui tournoient ou restent en vol stationnaire, projecteurs allumés : en un mot, c’est le spectre des émeutes de l’automne 2005 qui resurgit au moment où l’on s’y attendait le moins, la France pensant faire route tranquillement vers la trêve des confiseurs car débarrassée - même pour un temps - des grèves dans les transports.

Il est difficile de ne pas se sentir accablé par ces violences urbaines qui ont atteint une intensité inhabituelle pour ne pas dire angoissante. Il y a un an, lors du premier anniversaire des événements de Clichy-sous-Bois, j’avais rédigé une chronique où il était question, entre autres, de la montée en puissance, chez certains jeunes de banlieues, du désir, conscient ou non, de commettre l’irréparable en prenant la vie d’un policier, d’un pompier ou de toute personne représentant une forme d’autorité. C’est ce qui vient de se passer avec ces tirs d’armes à feu dont ont été victimes les forces de l’ordre. Nous sommes donc peut-être en train d’assister à l’irréparable qui débouchera fatalement sur des violences bien plus graves.

Bien entendu, je serai le premier à constater que rien n’a été fait ou presque pour les banlieues depuis novembre 2005. Certes, quelques millions d’euros ont été dépensés, des logements rénovés, des tours-dortoirs détruites et des efforts ont été consentis par des entreprises pour mettre fin à leurs pratiques discriminatoires en matière d’embauche. Mais rien de tout cela n’a été suffisant pour combler l’immense océan qui sépare les banlieues du reste du pays. Et c’est là tout le drame car, fatalement, tous les bricolages entrepris par les gouvernements qui se sont succédé ne pouvaient conduire qu’à une nouvelle explosion.

Cela devrait interpeller Nicolas Sarkozy. Prompt à rendre service aux plus fortunés en leur offrant, par exemple, un « paquet fiscal » bien généreux pour ne pas dire indécent quand on connaît la gravité des inégalités en France (ne parlons pas de l’augmentation de son salaire de près de 170% !), le président français va peut-être comprendre que l’épate facile et la gesticulation bling-bling ne suffisent pas pour diriger un pays. Au lieu de nous assommer avec ses voyages, ses « moi-je », ses déplacement partout où il ne se passe pas grand-chose, au lieu de nous infliger des « Grenelles » à répétition (la « com », toujours la « com »), il ferait mieux de déclarer la situation dans les banlieues comme étant une urgence vitale pour la France. Une urgence nécessitant un vrai plan Marshall pour casser les ghettos et donner des raisons d’espérer aux personnes qui y vivent.

Il faut de l’argent, et vite pour ces quartiers. Il faut des grands travaux, des projets d’infrastructures et des investissements publics. Mais cela ne suffira pas, il faut aussi que la France officielle parle aux jeunes des banlieues. Qu’elle leur parle droit dans les yeux. Qu’elle ait le courage d’être chahutée, bousculée comme un adulte peut l’être face à un adolescent difficile. Il faut surtout que la France officielle reconnaisse que la lutte contre les discriminations est une cause nationale dont dépend la cohésion de la société.

L’obsession, pour tous, devrait être, non pas de savoir si l’on va préserver les trente-cinq heures, ou si l’on va travailler plus pour gagner moins. Non. Quand on voit à quels ravages peut conduire la mort violente de deux jeunes garçons de 16 et 15 ans, Larami et Mouhsin, quand on réalise le potentiel hautement inflammable des quartiers, véritables poudrières, on se dit qu’il faut à tout prix faire en sorte que ceux qui y vivent puissent s’en sortir. Du moins ceux qui le veulent. Ceux qui, au fin fond d’eux-mêmes, et malgré leurs insupportables postures nihilistes ou agressives, ont envie de mener une vie normale, « comme les autres », c’est-à-dire ceux qui vivent parfois à moins de cinq kilomètres de leurs cités.

Que faire des meneurs ? Des irréductibles ? De ceux qui ont déjà sombré dans le criminalité ? De ceux qui ne veulent rien entendre, qui sont capables du pire à l’encontre de n’importe qui, à commencer par leurs propres voisins ? De ceux qui font régner la terreur dans leur quartier et qui savent si bien profiter du manque de fermeté ou de l’indulgence naïve dont font preuve à leur égard ceux que le sort de la banlieue ne laisse pas indifférent ? Je n’ai pas la réponse si ce n’est que la force qui doit nécessairement s’exercer à leur encontre ne sera totalement légitime que si le problème des banlieues est sérieusement pris en charge sur les plans économiques, sociaux et même culturels.

Les lascars, ceux qui singent les Tony Montana ou les gangsta-raps, ces pauvres types vénaux et misogynes, sont un vrai boulet comme je l’ai déjà écrit après les agressions subies par les étudiants lors des manifestations contre feu le contrat première embauche (CPE). Des boulets empoisonnés qui donnent des arguments à tous ceux qui présentent les émeutes comme l’expression d’un « racisme anti-français ». Quand une bibliothèque brûle, il ne faut pas s’étonner que la dialectique identitaire et raciste puisse faire entendre ses arguments simplistes. Rien ne se passera dans les banlieues sans l’intervention massive de l’Etat mais rien ne se passera aussi sans que l’on dise clairement les choses : ceux qui usent de violence n’ont aucune excuse.Reste enfin une autre question majeure : celle du comportement de la police dans les quartiers sensibles. Là aussi, rien n’a changé. Les provocations demeurent, la brutalité et la familiarité durant les contrôles aussi. On a présenté le drame de Clichy comme étant un accident, un mauvais concours de circonstances. Même chose pour celui de Villiers-le-Bel. Problème : dans les deux cas la police est impliquée.


Akram Belkaïd

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