lundi 17 mars 2008

LES AGES FAROUCHES

On peut vivre plusieurs vies à la fois. Il suffit de changer de peau. Quand j'étais demi pensionnaire au collège de Bon Voyage, je changeais de peau chaque fois que je gagnais le canal, comprenez un sentier bien droit, qui conduisait à travers bois, à l’usine de traitement de l’eau. C’était un large sentier taillé dans la colline, sur lequel, en principe, nous n'avions pas le droit d'aller sans être accompagnés.
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Je m'organisais et, compte tenu des facilités que je m’octroyais par "mon école buissonnière", je parvenais à m'échapper de plus en plus souvent. J'avais repéré les pièges à ressort que certains de mes camarades posaient dans l'herbe, amorcés d'une miette de pain ou d'une grosse fourmi. On piégeait beaucoup les petits oiseaux chez nous, dans la vallée du Paillon. Le piégeur se faisait une gloire de ses prises, tandis que moi, je détendais les ressorts et je désamorçais les pièges.C'était de l'autre côté du canal que je changeais de peau, très vite. Je devenais Rahan, le fils des âges farouches.
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J’escaladais sans peine les petits murets en pierres sèches à la recherche d’un caillou tranchant pour fabriquer la pointe de ma lance. Les vignes devenues un peu sauvages, les buissons, les oliviers aux feuillages argentés, donnaient une impression d’abandon... Le chêne-liège à l'écorce épaisse et gercée me servait d’abri ... L’herbe jaune abritait les oiseaux et les sauterelles qui jaillissaient du sol dans le soleil ... Juste le temps de les apercevoir dans le soleil, d'entendre leur bruissement ou leurs cris. Jusqu'en novembre et, si j’avais un peu chance jusqu'en décembre, je dévorais des raisins flétris à force de mûrir.
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Ils étaient gorgés de sucre et de parfums. Il y avait aussi des figues et des amandes, laiteuses ou un peu dures. Un jour, j'ai dévalé jusque dans une plantation d'oliviers. Des femmes s'occupaient à récolter les fruits, violets à force d'être mûrs, presque noirs, gras, et sentant bon !
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Certaines tendaient des couvertures, en les tenant par les coins. D'autres étaient montées dans les branches; elles jetaient les olives dans les couvertures afin qu'elles ne s'abîment pas. Revenu au collège, il me fallut quelque temps pour reprendre mes esprits.
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Ce n’est pas facile de changer à nouveau de peau ! J'en avais la tête qui tournait. Je me glissai dans une salle de classe ...
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Au collège, personne, jamais, ne reprocha à Rahan, le fils des âges farouches ses escapades. Est-il possible que personne ne s'en aperçût ?
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Ségurano

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