mardi 18 mars 2008

LA ROUTE DE LAGHET

Cette histoire débuta un dimanche, au moment où se leva Sountina. Sountina va sur ses soixante douze printemps..... Ses jambes sont encore bonnes, et qu'importe si l'échine n'est plus tout à fait droite ... Elle passa sa robe à mille fleurs repassée la veille. Ce n'était pas sa plus belle, mais elle était légère, et puis, le col blanc bien amidonné avait encore de l'allure.

Après avoir bu une tasse de café mélangé avec de la chicorée et grignoté un bout de pain de la veille, elle vérifia méticuleusement que le manger de midi pour Pépino était bien rangé dans le buffet de la cuisine. Pépino ne participait pas à ces pèlerinages. Le Bon Dieu, tous les saints du paradis, les curés et les églises laissaient Pépino de marbre.

Sountina se coiffa d'un chapeau blanc à larges bords. Le chapeau du dimanche. Elle saisit sa canne qui était un bambou sec et noueux arraché aux rives du Paillon et pris dans l'autre main son chapelet et son missel. Baptistina, sa voisine frappa à la porte. Elle était ponctuelle. Baptistina devait avoir à peu près le même âge que ma grand-mère. Son visage était d'un brun sombre, creusé de longs sillons, que tracent au long de toute une vie, les labeurs et les peines. A 7 heures devant l’arrêt du car, la vieille 403 Peugeot, prêtée par le patron de mon père arriva, non sans mal, dans un nuage de fumée.
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Dans le coffre, des cageots tapissés de torchons blancs à carreaux rouges, étaient remplis de victuailles. Après la messe on allait « manger sur l’herbe ». Il y avait un cageot pour les fruits, un cageot pour les boissons, un cageot pour le pain et un autre pour le reste du repas. Des odeurs de poulet, de bananes, d’oranges et de pommes embaumaient la vieille voiture. Il faisait déjà chaud en ce mois d’avril. La voiture démarra dans le même nuage de fumée qu’à son arrivée et pris la direction sanctuaire de Laghet prés de la Trinité. A l’avant, ma mère suppliait mon père de ne pas aller trop vite. Assis à l’arrière, je jouais avec la poignée du remonte vitre. Le courrant d’air faisait s’envoler les chapeaux de Sountina et de Baptistina et provoquait l’exaspération de mon père.

La route de Laghet était faite de raidillons, de nids de poules et de virages en épingle. Des gens qui avaient fait un vœu, marchaient à pieds sur le coté de la route. Les vieux plus lents, trouvaient un appui sur leurs bâtons.

La voiture stationnée bien à l’ombre, nous traversons la petite place du sanctuaire. Dans de minuscules cabanes en bois des boutiquiers vendaient des bondieuseries, des moulins à vent et des jouets.

Il n'existe nulle part ailleurs un tel spectacle, aucun vitrail n'offre de semblables couleurs. Erigées là par des familles de malades désespérés, pour les « miracles » accordés à leurs proches, les ex- voto forment dans un entassement indescriptible une immense bande dessinée. Ils sont accrochés par centaines, peut être par milliers. Dans la nef, on s'assoit où l'on peut. Sountina s'évente avec son chapeau et Baptistina récite déjà ses neuvaines.
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La scène est biblique, faisant songer au Sermon sur la Montagne. Un prêtre joufflu porte une soutane de couleur blanche. Un cantique s'est élevé et je crois bien que tout le monde l'a repris. On se compte par centaines maintenant. L’odeur de l’encens me donne mal à la tête. L’"ite misae est" sonne ll'heure de la délivrance. Je pensais au délicieux repas froid que ma mère avait préparé. Manger sur l’herbe en plein air était un vrai bonheur.
Nous restions la moitié de l’après midi à parler de tout et de rien. Mais il fallait repartir, Pépino était resté seul à la maison. La fumée de la vieille 403 nous a poursuivi tout au long du chemin du retour.
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Ségurano

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