samedi 15 mars 2008

LES ABEILLES DE PEPINO

Chez nous, dans le midi, les abeilles affectionnent particulièrement le pollen de la lavande et de l’acacia. Il ne faut donc pas les tenir trop éloignées des prairies. Et quand vient le moment de la récolte, on enfume les ruches, on sort les cadres, on les place dans une cantine métallique et on les emporte dans la remise prés de la maison.

Les étagères de la remise étaient recouvertes de bocaux de pâtés, de confitures, de fruits et de légumes en conserve que Sountina préparait tous les étés. Des saucissons, des jambons et des grappes de raisins séchaient accrochés au plafond. On gardait aussi les oeufs dans un grand pot en terre. A terre, prés des casiers où s’entassaient des bouteilles de vin, gisait la jarre à olives. Un garde manger en bois blanc, grillagé sur tous ses cotés, était lui aussi suspendu. Des montagnes de pommes de terre, de courge, de châtaignes étaient soigneusement rangées sur des toiles de jute, séparées simplement par une planche de bois. Avec les châtaignes séchées, Sountina faisait de la farine qui donnait au pain un goût de gâteau. Aujourd’hui en plus de l'odeur des charcuteries, des fromages, celles des champignons, des noix, des amandes et des noisettes, il y aurait celle du miel. Aujourd'hui, dans la remise on va récolter le miel.

C’est Pépino, mon grand père qui procède à cette opération. C'est toute une cérémonie, un rituel. Pépino a revêtu un peu de la majesté d’un pharaon. Un ample tablier bleu, dont le plastron remonte jusque sous le cou est noué dans son dos. Les bottes de caoutchouc, sont attachées en haut de leurs tiges par du sparadrap pour que les abeilles n'y pénètrent pas. Une veste beige, suffisamment floue, pour ne pas être piqué à travers le tissu. Les gants sont eux aussi lacés aux poignets par du sparadrap. Sur sa tête, il a placé un canotier de paille sur lequel est cousue une voilette de tulle blanche qui disparaît dans le col de sa chemise. Pépino m'a revêtu de la même tenue protectrice.
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La cantine est là, de métal gris, bien fermée, parce que, avec les cadres que l'on a prélevés dans les ruches, on n'a pas pu faire autrement, que d'enfermer quelques abeilles. La cuve de l'extracteur est un cylindre métallique d'un mètre de haut, étamé. Le cylindre est perché verticalement, sur quatre pieds posés sur des cales de bois pour être bien stable. Au centre de la cuve se trouve un axe, auquel on fixera les cadres, l'un après l'autre. C'est moi qui aurai l'honneur de tourner la manivelle lorsque le couvercle de la centrifugeuse sera refermé ...Dans la main gauche, Pépino tient un soufflet muni d'une boîte dans laquelle brûle sans flamme un morceau de toile de sac, légèrement mouillée. Le soufflet se termine par un bec. Quand on l'actionne, il en sort un jet de fumée jaunâtre et épaisse qui brûle les yeux.

Le couvercle de la cantine ouvert pour saisir trois ou quatre cadres de bois est refermé aussitôt. Pépino a enfumé la cantine pour engourdir les abeilles. Il passe une petite balayette préparée à cette intention, pour éliminer les quelques dizaines d'insectes qui s’accrochaient. Puis, il saisit un couteau à longue et large lame plate. Pépino le passe bien à plat sur la gaufre pour ôter les opercules des alvéoles. Les cadres sont fixés dans l'extracteur, le couvercle est fermé. Je tourne la manivelle, et après quelques essais, j'ai trouvé la bonne vitesse et le bon rythme.
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Cette année nous avons surtout du miel de lavande et d'acacia. Il est blond, clair et liquide. Plus limpide, plus beau que l'ambre, plus beau que la topaze ...La cérémonie de l'extraction, c'était à peu près la seule occasion pour moi de manger du miel, à même la cire.
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Pépino est mort depuis longtemps. Les ruches ont disparu, mais j'ai conservé ces odeurs et ces saveurs dans ma mémoire.Tous ceux qui étaient partis en ville faisaient la grimace quand Pépino leur proposait ce miel. Ils avaient oublié ce qui était bon.
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Ségurano

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